Mauvaise nouvelle

J’ai appris ce matin par le Journal du Matin la disparition d’une amie de ma grand-mère maternelle –madame Bloux–, toujours du côté de mon père quand mes parents s’enguirlandaient. On ne s’engueulait pas, à l’époque. Des mauvaises langues disaient qu’elle était contre ma mère parce que celle-ci l’avait jetée un jour où, rentrant à l’impoviste, elle les avait surpris l’un contre l’autre. Ça avait bardé, comme on dit chez les charcutiers, surtout les Bretons. Et ça ne s’était jamais calmé, au point qu’un jour ma mère excédée l’avait suffisamment tuée pour que la vieille passe de vie à trépas. C’est bien triste.

Fourbie d’un tas de circonstances atténuantes qu’un avocat marron lui avait concoctées (il faut dire que ma mère était encore appétissante, surtout si on avait faim) ma mère n’avait fait que quelques malheureuses années de prison, une dizaine si je me rappelle bien, celles heureuses n’étant pas à portée de bourse d’une pauvresse. Ma mère était une pauvresse.

Du coup je m’étais retrouvé seul, l’avanie et la honte ayant précipité mon père dans un alcoolisme létal dont il n’eut jamais le temps de se remettre, on l’aura compris. À peine éteints les chuchotements gênés ou égrillards qui servirent d’avis de décès, je m’installai chez une amie de ma grand-mère, celle dont je viens d’apprendre le décès, qui m’accueillit bras ouvert. Je venais de fêter l’évènement et mes 30 ans ; elle en avait 70 qu’elle portait le mieux qu’elle pouvait, la chirurgie esthétique des dernières années ayant fait de notables progrès. Jeune d’esprit, elle avait monté tout un groupe de rock après l’avoir financé, ce qui, dans le quartier, avait pas mal fait jaser, preuve que les gens n’y entendent rien à la musique. Que, petit, elle me prit souvent sur ses genoux y fut-il pour quelque chose, toujours est-il qu’après m’avoir ouvert son bras (car vous l’aurez compris, elle n’en avait qu’un, défaut de fabrication qu’une prothèse ne masquait partiellement qu’aux grandes occasions) elle m’ouvrit son lit. M’en étant ouvert à mon psy, un des meilleurs de la place au vu des tarifs qu’il pratiquait, le galimatias qu’il me servit (comme quoi l’amie de ma grand-mère ayant endossé son rôle, elle retrouvait en moi celui qu’elle avait aimé, et que ce n’était pas moi en tant que tel qu’elle aimait, mais mon père à travers moi, et j’en passe…) me fut prétexte pour lui conseiller un voyage en Grèce où je ne sais plus quel autre pays aux moeurs moins stupides qu’il n’y paraît, d’où il ne revint jamais, ce qui mit un terme à ma thérapie.

Mamie et moi nous vécûmes de magnifiques années, surtout elle, mais l’ombre de ma mère se projetait sur nous avec de plus en plus de netteté au fur et à mesure que la date de sa libération approchait. Le sentiment que quelque chose de terrible autant qu’inéluctable allait se passer nous rapprochait de plus en plus, mais ni nos ébats, ni nos tendres mots ne parvenaient à nous rassurer : incessamment, l’autre allait être libérée.

«Qu’allons-nous devenir, ô Mamie, ô Mamie Bloux» la questionnai-je la veille de l’élargissement de ma mère dont la carrure, par conséquent, se parerait dès cet instant des caractéristiques de celle d’un lanceur de marteau.
«Ne te fais pas de souci, mon tout petit, mon Gen-gendre, Mamie est là, elle va s’occuper de tout» m’avait-elle répondu en me serrant maladroitement, comme le font les manchots, contre les secrets plis de sa poitrine. Me carressant la joue de sa main noueuse, elle avait rajouté : «Pis toi, tu n’as rien à craindre». Elle frimait, mais je savais qu’en elle la peur, déjà, faisait son office. Preuve m’en fut donnée la nuit même par le bruit de frottement du pot de chambre sur les tommettes cirées de la cuisine, bruits qui se renouvellèrent pas moins de plusieurs fois.

«Gen-gendre», j’t’en foutrai ! Cette dénomination infantilisante m’avait choqué, ce qui avait eu pour effet de me faire revenir en mémoire ce que mon psy m’avait baragouiné. Tout m’était revenu, sauf lui, que j’avais eu le tort d’envoyer valdinguer en Grèce où je ne sais plus quel autre pays sexuellement moins rigide, où il devait mollement se prélasser et badiner avec quelque jeune pâtre grec, turc ou extrême oriental s’il avait taillé la route du côté de Bangkok, réputée pour mettre à disposition des touristes gones, gonesses, gonos et pire.

La mère Bloux m’était soudainement apparue sous un angle nettement moins obtus que jusqu’alors, et tandis que la nuit s’achevait, la compréhension se fit jour : elle avait la main mise sur moi, l’autre, terminale de sa prothèse qu’elle avait mis la veille au soir pour me prodiguer quelque gâterie, était étalée comme une vieille chaussette frippée sur la carpette. Car en sa chambre, ni moquette, ni tapis, ni descente de lit décente, mais une carpette. Une carpette comme chez les vieux !

Les patins aux pieds, j’avais rejoint la cuisine pour enfiler les galoches qu’elle m’avait offertes (elles avaient appartenu à un ancien de 39-45 qui les lui avaient léguées en échange de sa libération. Résistant de la première heure, il avait cru sa dernière arrivée lorsqu’elle avait exigé de lui des choses que la morale réprouve, et qui font appel à des accessoires allant du fouet aux menottes en passant par pire. L’étreinte des bracelets inox relâchée, il n’avait pas résisté à une envie de fuir incoercible et avait pris la tangente pour aller se réfugier au cercle des officiers où il avait gardé quelques accointances).

Elle ronflait. Galoches aux pieds, c’est sans crainte de la réveiller que je me dirigeai vers la porte de sortie que plus jamais je ne passerais en tant que banale porte d’entrée. J’allais refermer l’huis lorsque, jetant un dernier regard dans le vestibule, des scrupules m’assaillirent. Homme de bien , aimant l’ordre et la propreté, je ne pouvais décemment pas quitter les lieux sans exécuter les tâches domestiques qui m’avaient quotidiennement incombées, et quoique ma décision de partir fut irrévocable, je ne pouvais manquer à mes devoirs. Aussi commme je le faisais chaque jour vidai-je le pot de chambre, nettoyai-je son dentier et, enfin pour une fois et la seule, donnai-je un coup de pied dans le cul au chat qui m’avait toujours détesté. Il s’était réfugié près de la prothèse en miaulant tant et plus dans l’espoir d’en tirer des caresses consolatrices.
Lorsque ses miaulements finiraient par réveiller la vieille légèrement sourde d’oreille, je serai loin.

L’article en rubrique faits divers était d’une sobriété exemplaire.
Je le cite :

« Nous apprenons le décès de madame Mélanie Bloux. D’après la police rendue sur les lieux et qui a procédé aux constats d’usage, l’octogénaire aurait été victime d’une mauvaise chute. S’agissant d’un objet surprenant découvert sur les lieux, les policiers, sans se perdre en conjecture, s’interrogent. Pour peu que l’interrogatoire soit suffisamment musclé, nul doute que l’un d’eux saura identifier l’objet en question et trouver une raison à sa présence (il s’agit d’un poids de 4k relié à une corde en acier terminée par ce qui ressemble à une poignée. D’après un voisin de palier, un ancien sportif de l’Alliance Sportive, l’objet en question serait un marteau de lancer). Il a fallu faire appel aux services de la SPA pour récupérer, auprès d’un chat hargneux et agressif, un objet qui pourrait être une pièce à conviction. Il s’agit d’une prothèse de membre inférieur. »

A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
Cet article, publié dans délires, littérature, nouvelles et contes, est tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s