Liste de mariage, liste d’enterrement

C’est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l’aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l’approche des hivers.
C’est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu’à la lumière
Dieu n’a pas laissé mûrir !
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que ton cœur aime ?
Je regarde le gazon.
Extrait de Pensée des morts, de LAMARTINE

Et voilà ! encore un pote qui a décanillé sans prévenir et sans nous indiquer l’enseigne où il avait déposé sa liste d’enterrement. Pas étonnant que certains défunts se retrouvent avec des funérailles à la con, sans fleurs, ni couronnes, ni pleureuses, ni même un clebs pour suivre le défilé le cortège. Comme Mimile, que personne de sa famille nous a prévenus, sous prétexte qu’on ferait du foin à l’enterrement, ou Roger, qu’on n’aurait jamais su qu’il avait passé l’arme à gauche si les canards n’avaient pas relaté son exhumation. D’après une feuille de chou qui tenait l’info d’un flicaillon amant de la juge, le Roger avait été sorti du trou pour un prélévement d’adéhène. Comme quoi il aurait très bien pu être l’auteur de quelques vagues assassinats. Du n’importe quoi, puisque nous, les coupables, on savait qui c’était, pour cause. On avait laissé faire sans moufter, mais le coeur gros.
Et ce coup là, le pote qui vient de se faire la malle, c’est Germaine. Suicide, qu’ils ont dit, qu’elle se serait jetée sur les rails à l’arrivée de la Micheline, sans crier gare. Faute de famille, le brigadier de gendarmerie nous a remis sa valise, sachant qu’on était ses seuls potes. Une valise vide, celle-là même qu’elle emmenait toujours avec elle. « C’est au cas où », elle disait. « Au cas où quoi ? » on lui demandait. « Au cas où », elle répondait.
Germaine, et malgré qu’elle se savait prête, c’était vraiment pas le genre à déposer une liste d’enterrement, et pourtant, s’il y en a une qui en aurait eu besoin et à qui ça aurait pas fait de mal, c’est bien elle. On lui avait suggéré, mais tête de lard comme elle était, c’était pisser dans un violon. Déjà pour son mariage avec Fredo –en 57, juin 57, je me le rappelle comme si c’était il y a une heure–, elle nous avait envoyé sur les roses quand on lui avait demandé où ils l’avaient déposée, leur liste de mariage. « Au bistrot du coin ! » elle nous avait dit, en ajoutant d’aller nous faire foutre avec nos conneries. « Mon cadeau de mariage, c’est le Fredo, et ça va bien comme ça ».
Chacun ses idées, hein ! Pis les cadeaux de mariage, ça finit par s’user, par s’ébrécher, par se casser et par fabriquer de la nostalgie. Fredo, à part les deux larmes qu’il avait vues dans les yeux de Germaine, et comme son seul bien c’était elle, il était parti sans rien emporter. À Germaine, il ne lui avait laissé que le chagrin, plus un porte-monnaie inutile. D’où la valise qu’elle trimballait partout, y compris chez Jo, au bistrot.

Alors on s’est téléphoné, avec les copains, pour la liste. On a tout de suite été d’accord pour l’église. Germaine, c’était le genre à croire qu’elle croyait pas, mais c’était pas possible qu’une fille comme elle soit pas habitée par le bon Dieu. On est passé voir le curé. Jeannot et Lucette avaient apporté les tripes, Francine une tarte –sa tarte, aux poires de son verger, des louises-bonnes–, René s’est fendu d’un claquos à faire damner un évêque. Pour le pinard j’ai d’abord opté pour un Gewurtz divin après avoir hésité devant un Volnay Romanet que, touché par la grâce, j’ai finalement embarqué avec l’autre. Plus une mirabelle, histoire de ne pas en rester là. La tortore, je suis pas contre, mais payer la messe, n’y pensez même pas, nous a prévenu le cureton. C’est ma participation, et je vais te vous en faire une de tous les diables, de messe. Je file chez la mère Ledou pour l’harmonium, qu’elle y passe l’encaustique et dénoue ses doigts.
Pour le tralala des pompes funèbres et le bataclan administratif, le maire et les gendarmes nous ont arrangé ça. Pour la boîte, qu’on voulait convenable, on a débité tout ce qu’il faut comme planches dans une immense armoire en noyer qui pourrissait dans ma remise. Le père Trusquin, le menuisier du patelin, n’a plus eu qu’à les tailler, les assembler et demander au forgeron qu’il lui bricole poignées, ferrures et clous. Avec les fers à cheval qui traînaient dans son estancot, ça n’a pas traîné.
« Petit problème, les gars, » a soulevé Jo, le tenancier du bistroquet qui fait aussi le taxi : « le corbillard. Le break est pas assez long ». On s’est rabattu sur la charrette à foin de la mairie. Celle que le Conseil municipal a installée sur la place. Pour faire joli, comme ils avaient dit lors d’une séance. Avec des fleurs. Le petit patelin s’enorgueillit de participer au concours Villages fleuris. « Catégorie pedzouille », précise le maire, pas dupe. Trouver une mule ou un âne s’avérant impossible, mais le cimetière n’étant qu’à 200 mètres de l’église, on a décidé qu’on s’y collerait, avec Jo.

Une liste d’enterrement, ça n’est pas que ça. Il faut aussi une tombe et sa pierre tombale avec une belle inscription, des fleurs,  un portrait du défunt, quelques personnes éplorées mais pas trop, et un petit baratin sur le disparu, ça fait bien et ça ne fait pas de mal s’il n’est pas long. Puis les faire-part.
Le téléphone arabe, on ne fait pas mieux question faire part. Alors on a rameuté tous les zouaves qui aimaient bien Germaine, c’est-à-dire tout le monde.
Les chrysanthèmes, c’est pas que ce soit pas joli, mais Germaine ne les aimait pas tant. On a raflé tout ce qu’on pouvait de papier crépon, gommettes, scotch, ficelle, et les gamins de l’école ont fabriqué des tas de fleurs de toutes les couleurs. Les plus grands sont allés couper des branches de Ginkgo biloba, plus des quenouilles sur l’étang communal. Pendant ce temps, le garde-champêtre, qui ne rechigne pas à la tâche pour peu qu’on l’abreuve d’un solide gros rouge et qu’on lui concocte un vaste casse-croûte, a fait le fossoyeur. Plus tard il maçonnerait une tombe honorable.
« Nom de nom de dieu, et la musique ? Qui c’est qui va la faire, la musique. C’est qu’avec le froid et mes doigts gourds d’à cause les patates, faut pas compter sur moi, les gars, parce que le violon, faut pas croire, mais c’est de la dentelle. » Il avait pas tort, le violoneux. C’est là qu’un jeunot nous avait amené un de ces machins avec la radio et des cassettes qu’on met dedans, que ça fait des boum boum d’enfer. 50 watts, c’était marqué dessus.

Tout s’était bien déroulé. Les pleureuses avaient démarré dès les premières notes plaquées par la mère Ledou. Le curé s’en était bien sorti, bien mieux que Jo et moi que les autres avaient dû nous aider. Faut pas croire, mais tirer une charrette bourrée avec un âne tout pareil, c’est pas coton. Au cimetière, tout pareil, bien. Bien, bien. Dommage, quand même, que le temps ne se soit pas mis de la partie et soit resté au beau fixe. Car un peu de pluie, de vent, plus un chien famélique qui suit un enterrement, ça t’a une de ces gueules !

A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
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Un commentaire pour Liste de mariage, liste d’enterrement

  1. phare & night dit :

    De l’humour à la Vaissiere, mais que de joliesses qui touchent le coeur. Merci

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