10 centimètres de neige, il est tombé. Ma bagnole, je la gare sur le trottoir, pas que ce soit bien pratique, mais comme ça emmerde la voisine, c’est une raison suffisante. Histoire de ne pas coincer ma porte d’entrée, je me gare plutôt devant la sienne. Aujourd’hui c’est dimanche, et comme tous les dimanches elle file à l’église, 10 heures pétantes, pour la grand messe. Une bigote, la voisine, mère chat, mère chien, mémère à son toutou qui ne se gêne pas pour lui faire faire ses cro-crottes sur mon trottoir. Une garce ! Et avec la neige, pas sûr que je ne me fasse pas piéger.
Crrrrr, clic. Elle vient d’ouvrir sa serrure. Une serrure toute neuve qu’un malfaisant l’a obligée à changer. Les colles à deux composants, ça a fait de ces progrès, et vu le prix, je ne peux pas dire que je me sois ruiné ! Je l’entends passer l’huis. Crrrrr, clac. Elle maugrée dans sa barbe, une histoire de bagnole, que ça commence à bien faire et tout… Les micros haute sensibilité que j’ai installés fonctionnent à merveille, pour peu que les piles soient chargées. J’y veille et les ai justement remplacées dimanche dernier par celles de son détecteur de fumée, engin qui ne risque plus de me réveiller. Il ne débitait pas des tonnes de décibels, mais c’est grâce à mes micros qu’un mois auparavant, oyant l’alarme, l’occasion m’avait été donnée d’enfoncer sa porte pour lui venir en aide. À grand renfort de seaux d’eau j’avais maîtrisé le départ de feu d’une cigarette coupable mal écrasée dans son cendrier d’ébonite. Cette andouille n’avait pas eu d’autre choix que celui de me remercier pour ma promptitude à jouer le pompier de service. Je déteste les bondieuseries, raison pour laquelle j’avais copieusement arrosé une vieillerie de bible crasseuse trônant sur sa table de nuit ; sa lampe de chevet peinte d’une main malhabile (sans doute celle d’un paralysé que la grâce avait oublié de toucher) représentant Bernadette Soubirous en lévitation dans sa grotte, œuvre majeure ramenée d’un voyage à Lourdes qu’elle avait entrepris au sein d’un groupe de paroissiennes en mal de B.A. ; son édredon lustré que les outrages des ans et de la bave avaient fini par réduire à l’état de charpie là où devait mollement s’avachir son menton que trois terribles poireaux rajoutent à sa disgrâce. Petit, déjà, j’exécrais les poireaux que les vieilles tantes me collaient sous le nez une fois l’an, contact dégoûtant que je devais supporter pour mériter mes étrennes.
1 heure 30 devant moi, le temps que dure la grand messe. J’entre chez elle. Pas compliqué car, depuis ma prestation de sapeur-pompier, j’ai grimpé dans son estime et gagné sa confiance. C’est gentil de veiller sur moi, m’avait-elle déclaré. Parce qu’on ne sait jamais, elle m’avait dit, je vous remets un double de mes clés. C’est vrai que je veille sur elle, plus que ce qu’elle imagine.
Miaou et remiaou lorsque je file un coup de pied, avec juste ce qu’il faut de force, à sa saloperie de matou qui me regarde d’un sale œil, allez savoir pourquoi… Direction sa caisse où il se réfugie. Une caisse d’où émane une odeur nauséabonde. Offrande bien involontaire, je vomis mon petit déjeuner sur le parquet de chêne que des couches de mauvaise encaustique ont encrassé. Vrai cadeau celui-ci, je vide par dessus quelques menues merdes de chat que la litière fait ressember à des cornes de gazelle peu ragoûtantes. En toute logique, le minou recevra une raclée, sa raclée du dimanche, et je le verrai filocher par l’huis entrebaîllé de la vieille. Ah mais, c’est que les chats, ça n’en fait qu’à leur tête.
Le chien. Il n’a pas moufté, mais tremble comme une feuille, force du rituel. Sa gamelle d’eau renversée –quel maladroit je fais !–, je contemple les dégâts : mineurs. Un placard à hauteur de chien m’appelle. Je l’ouvre. Merveille, j’y découvre paquets de farine et de vermicelles entamés plus, miracle, des biscottes en vrac. De quoi faire une très jolie composition, une fois balancées les denrées dans la nappe d’eau qui a pris ses aises, denrées que je piétine allègrement.
Un chemisier col Claudine laissé sur la planche à repasser rejoint ma création artistique éphémère que la vieille ne manquera pas de me montrer, comme elle l’a fait les fois précédentes, en se plaignant de ses sales bêtes, qu’elle finira par excuser. Faut les comprendre, les malheureuses, c’est que le dimanche c’est presque deux heures que je les laisse seules.
Je contemple le travail, ouvre le buffet où roupillent des bouteilles de vin cuit dont l’allure, lors de mon premier passage, m’avait montré qu’elles n’avaient plus vu le jour depuis la communion d’une arrière petite nièce. Une vieille de cette marque, ça ne reçoit pas. Le goulot fait l’affaire.
Le chat s’est carapaté sous le buffet. Marraouuu ! J’ai juste senti un truc mou au bout du manche à balai.
Tout est ok, je m’en retourne chez moi, content de moi. La panade sous mes godasses ? Je m’en suis débarrassé en les essuyant sur le clébard. Arf, arf. Ce stupide corniaud a dû s’imaginer que je le caressais.
Autre chose à faire que de veiller au retour de la vieille. J’ai poussé le potentiomètre, je ne pourrai pas la rater, ni rater ses bêlements, le bruit du seau en fer blanc sous le robinet, celui du balai brosse, ni les leçons de morale qu’inévitablement elle adressera à ses bestiaux comme elle le fait chaque dimanche.
Le soleil revenu, la neige a commencé à fondre, dégageant une déjection du clébard que je n’avais pas vue. Je la dépose sur son seuil, la recouvre délicatement d’une légère couche de neige.
Tout à l’heure, sur les coups de midi trente, lorsqu’elle aura remis de l’ordre dans le gourbi, elle toquera à ma porte. Je la suivrai chez elle où elle m’expliquera en long et en large ce que ses satanés bestiaux ont fait comme dégâts. Pire que dimanche dernier, soulignera-t-elle en les sermonnant. Le minou et le clébard se ratatineront dans un trou de souris en se faisant le plus discrets possible. Elle se plaindra, je compatirai. Elle m’offrira un minuscule verre de vin cuit et, pourquoi pas, me retiendra à déjeuner en remerciant le bon dieu d’avoir un tel voisin.
J’adore les dimanches. Surtout les dimanches matin.