J’aurais eu le choix, j’aurais fait chien pour mon incarnation actuelle. Chien errant, pour le sentiment de liberté que donne l‘errance. Avant, j’aurais vérifié que la fourrière n’existe pas. Mes hurlements auraient affolé les bons toutous à leur mémère, un délice !
Sinon, j’aurais fait guêpe. Une guêpe très loin d’être folle qui se serait renseignée pour savoir si les insecticides étaient inventés, on ne sait jamais, voire même les tapettes à mouches connectées aux tablettes anti-moustiques dont l’efficacité n’est pas à remettre en question pour l’éradication des hyménoptères. Pas une côte de porc qui serait partie à la poubelle avant d’avoir été ratiboisée, par une côte de melon qui n’aurait pas été raclée avant de rejoindre les ordures, pas un seul gosse excité qui n’aurait pas hurlé de douleur après que je lui eus percé sa tendre peau juste pour le plaisir.
Abeille, non, à cause des guêpes tueuses, des migrantes fourbes qui n’ont rien à faire ici, chez nous.
Chat, ça aurait pu faire, à condition que les chiens n’aient pas été créés par un quelconque ami des chiens ou par un toiletteur, on sait la perversité qui les anime. Je n’ai rien contre les chiens, d’autant que j’aurais pu en être un, mais avec cette schizophrénie dont les hommes sont atteints, surtout en fin de journée lorsqu’on est entre chien et loup, non merci. Tu es un bon chien, tu te ballades pour aller tenir conversation avec la poulette gironde du voisin, le soleil vient de se coucher, il y a de la brume, et le temps d’entendre un gueulard crier « au loup », une décharge de chevrotine t’abat, laissant la poulette comme orpheline, à caqueter comme une crécelle. Insupportable !
Canard ? J’y ai pensé, autant qu’oie. Mais qui un jour a ouï une oie cacarder parce qu’elle en a ras-le-gosier ou un canard nasiller lors du gavage (voir à ce propos un article concernant de nouvelles réglementations dans l’agro-alimentaire) ne peut décemment plus désirer être l’une ou l’autre. Propriétaire d’un troupeau d’oie et d’un autre de canards dont je fais d’excellents foie gras, je sais de quoi je parle, et j’ois bien ne jamais m’incarner en de tels volatiles.
Coq, j’aurais plutôt aimé. Dressé sur mon tas de fumier et adulé par mes poulettes, j’aurais chanté de l’aube jusqu’à l’aurore et vice-versa jusqu‘à rendre fous les bobos qui viennent chez les ploucs pour manger leur pain et ester en justice afin d’obtenir l’interdiction du beuglement des bovins qui s‘ennuient, du braiment des ânes qui râlent sous prétexte qu’on les bât, et du tintement des cloches qui ne cesse que lorsque tout le monde est couché. Mais apprécié comme l’est le coq au vin, je me serais tâté avant de choisir cette option, n’étant en rien assuré de me retrouver dans une région dénuée de toute viticulture et pleine comme une outre d’ivrognes stupides qui ignorent que ce qui est bon dans le coq au vin, c’est le pinard.
Être chèvre aurait pu me plaire à cause des enfants qui adorent les chèvres. Ils ne sont hélas pas les seuls, surtout dans les villes de garnison qui abritent un régiment de légionnaires. Supporter les assauts de leur mascotte –un bouc altier et couillu, en rut– ne serait pas contre nature, mais pas question de supporter l’assaut farouche d’une troupe en manque de tendresse. Comment ouïr sans honte les béguètements de satisfaction de la bête diabolique et comment supporter le gras contact des tabliers de cuir des vaillants soldats ?
Alouette m’était venu, comme ça. Mais tout de suite me sont venus les mots pâté, miroir, hélicoptère, épilation, plumage, sans oublier Saint-Claude, charmante cité du Jura et capitale de la pipe. Puis je me suis rappelé l’école, la maîtresse, la leçon de chose sur les cri des animaux. Si la grue trompette, le chien clabaude à l‘occasion, la hyène ricane quand il y a de quoi, le lapin couine dès qu’il aperçoit le couteau qui le délivrera de la myxomatose,
le paon braille pour prévenir l’aveugle qui va se ramasser s’il continue de marcher sans rien voir, la poule glousse de plaisir, le poulet piaule dans son sweet home industriel où il fait 50°, la souris chicote lorsqu’elle se faufile sous l’oreiller d’un gamin berchu pour rafler sa quenotte, la tourterelle caracoule lorsqu‘elle caracole, le zèbre hennit soit qui mal y pense, le pinson ramage, le crapaud coasse, le corbeau croasse, le cochon grouine, le rhinocéros barrit, l’étourneau jase à Vienne, le faisan criaille, la fauvette babille, tandis qu’innocente, l’alouette TURLUTE.
Alors non merci.
Du coup, je suis resté à ce que je connais le mieux : l’homme. L’homme mâle.
Si une prochaine occasion se présente, que j‘ai le choix et que je me sens suffisamment aventureux, peut-être oserai-je la femelle homme. Mais sûrement pas l’alouette ou la chèvre. Sûrement pas.
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