Un rien critique quant aux émissions de télé qui, non seulement causent de cuisine et montrent des images, même qu’il y en a qui bougent, comme au cinéma, j’ai l’occasion aujourd’hui de m’y coller, hitoire de dire que je peux en causer, même si je ne sais pas de quoi je cause, ce qui me permettra de fermer le clapet à ces tristes sires, au demeurant peu brillants, qui feraient mieux de claquer au lieu de remettre en question les vraies vérités que j’assène, vérités qui ne remettent nullement en cause la société telle qu’elle est, c’est à dire parfaite.
C’est ainsi –mais je ne développerai pas ce que contient cet ainsi– que je me retrouve en ce jour du 6 octobre, à participer à cette manifestation culturo-culinaire : Stars en cuisine, dans la charmante cité de Sainte-Maxime, Var, 83120 pour être plus précis, en Provence, pour élargir le focus. Pas une émission de télé, mais on est dans le même esprit people. Sauf qu’ayant vu une vidéo, ce Star en cuisine a l’air très sympa.
Le sujet ? Présenter une recette ayant un rapport, cette année, à la littérature. Le but ? Se faire plaisir et faire plaisir aux papilles gustatives d’un jury composé de personnalités de la cuisine, celles-ci n’étant pas obligatoirement mollement allongées sur un plumard ou un canapé.
Six équipes de deux généralement issus, si ce n’est de la cuisse de Jupiter, de l’univers people ; six membres du jury, une foule en liesse : ça galège, ça rit, ça vit, les organisateurs et animateurs, Gui GEDDA et Michel HEBREARD, n’y étant pas pour rien, le site non plus, béni des dieux menés par Dionysos, et sous l’oeil attendri de Poséïdon.
Il est 14 heures. Avec mon équipier Jean Michel THIBAUX, auteur d’une tripotée de bouquins, que j’ai rencontré lors d’un office religieux au cours d’un voyage lointain alors qu’il signait un de ses nombreux ouvrages dans une librairie du Blennoragistan oriental dans un bistrot, une toque sur le crâne pour éviter que nos neurones ne s’échappent, nous sommes aux fourneaux, sur le point de confectionner ce que l’Histoire retiendra comme n’étant pas rien, et même plus que ça, que nous avons titré Rouget de l’île à la marseillaise. En gros : un rouget local, de Lérins (si le pêcheur a qui nous avons confié la mission de ramener six beaux rougets barbets a pensé à faire sonner son réveil à l’heure adéquate) accompagné d’un flake (mi flan, mi cake) de légumes (céleri branche, courgette, poivron rouge, fenouil) à l’anis et à la lavande logé dans sa cuirasse de fenouil, avec canisse de poireau, citron confit au sel de sucre et gelée de citron, nœud d’algue, alphabet de pâtes tricolores, avec un beurrre de tomate servi dans une cuiller d’endive, ouf !
C’est parti : ça coupe, ça tranche, ça débite, ça mijote, ça bout, ça pourrait déborder, mais nous veillons au grain tandis que s’égrènent les minutes. Nous avons deux heures pour concocter notre plat. Pendant lesquelles journalistes et envoyés spéciaux des grandes chaînes locales (Le Provençal anisé – La Pétanque Indépendante – Télé Galèje – New York Times – etc.) se bousculent pour nous interviewer.
Jean Michel leur fait l’exposé qu’ils attendent et écoutent religieusement : il y a de quoi, et les explications valent leur pesant d’or, qu’on leur suggère de verser sur nos comptes en Suisse.
Je reprends, en gros, ses réponses à leurs légitimes questions, réponses qui, à en juger par l’air pénétré qu’ils prennent les éclaire sur un pan resté dans l’ombre de la gastronomie locale.
Je le cite :
« Le fenouil, avec ses « doigts » coupés, symbolise le peu de cas que les éditeurs faisaient de Rouget de Lisle. « J’ai les doigts qui m’en tombent » s’était-il plaint à un ami à qui il avait confié s’être fait rembarrer par un éditeur.
L’encornet étant pourvu de tentacules, des quasi doigts (un célèbre poète grec ne le nommait-il pas « le fenouil des mers » ?) et le fenouil pourvu de doigts, des quasi tentacules… la tentation était grande de présenter le fenouil dans la posture de l’encornet observant, ébaubi, l’énorme sardine bouchant le port de Marseille, posture qu’on lui connaît également lorsque, à la saison de la reproduction, donc du rut (juillet et août) il se mesure à un mâle adversaire. En outre, l’encornet des jardins, dans cette position, fait irrémédiablement penser au bonnet phrygien, ce qui n’a cependant rien à voir avec Giens, commune tout de même pas libre au point de la qualifier de phry, free maladroitement orthographié, on l’aura compris… et bla bla bla. »
« Pense quand même à égoutter les nouilles, au lieu de raconter tes salades » dis-je à mon équipier. « Et enfourne donc les flakes, pas assez cuit, ça craint ! » j’ajoute un chouïa vénère.
C’est bien ça les people, à tchatcher et à se la jouer.
15h15. Fait chaud. Histoire de prendre un peu le frais, je prends le relai pour tenir la jambe aux journaleux. Jean Michel surveille les flakes qui montent tranquillement.
« Sctburg ost meatflugst kroen ys bloer ? » me demande un journaliste. « Blurgksk ! » lui dis-je, avant de lui répondre plus en détail en français, ma pratique de cette langue bizarre et orpheline qu’on parle au Blennoragistan étant des plus limitée :
« Cette recette m’a été transmise par un ami, mon ami Roger, de Lille, qui la tient lui-même d’une amie de Noeux-les-Mines, nièce des patrons de la poissonnerie de la rue Roger Brun (poissonnerie qu’à Lille, on ne connaît que sous le nom de poissonnerie Roger), rue qui prolonge l’avenue de Toulon, ville où la poissonnerie Roger et Monique vendrait d’excellents rougets, non pas de Lille, mais de Toulon, cela s’entend. Ou d’Hyères, ce qui augure d’une fraîcheur relative, mais déjà mieux que ce qu’on peut trouver avant Hyères, voire même la semaine dernière où les poissons, rougets compris, ont peu de chances d’être frais comme des gardons. »
Il aura compris ce qu’il pourra. Les autres aussi, que je pousse gentiment en direction des autres concurrents.
Il est 15h30. « Va falloir qu’on cuise les poiscailles » je dis à Jean Michel.
— Les poissons ? Quels poissons ?
— Les rougets, c’te blague. Dans le frigo.
…
— Y’a rien dans le frigo. Rien de rien.
15h32.
Va expliquer quoi ? Que le pote pêcheur a dû s’aniser méchant hier soir et qu’il n’a pas entendu le réveil sonner ? Qu’on ne travaille que l’ultra frais et qu’avec l’automne super chaud de cette année, les rougets ont mauvaise mine et l’œil torve, et que, du coup, question fraîcheur…
« Roger et Monique » Jean Michel me souffle dans l’oreille. « Je leur passe un coup de fil ».
« Hyères est à une bonne centaine de bornes » je rétorque. « Mais ça doit être jouable. S’ils sont joignables, s’ils ont la marchandise, s’ils font la moitié du chemin et que tu vas à leur rencontre, si tu roules à fond la caisse, si les flics font la sieste, et si on passe les derniers devant le jury ».
15h35.
Mon partenaire part à la pêche. De l’alu sur la mangeaille, je la mets à tiédir. Penser à la surveiller. Je n’ai plus qu’à attendre. Question subsidiaire : il a quoi, comme bagnole, mon pote Jean Michel ?